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Face à la crise de confiance à laquelle les médias sont confrontés, certains projets éditoriaux se concentrent sur des logiques d’engagement. Ces initiatives, dont la frontière avec le militantisme n’est jamais loin, tentent d’impliquer plus directement le public sur les sujets qui les touchent au quotidien.

Ce n’est pas une nouveauté, les médias traditionnels sont en crise. Le rapport de l’Institut Reuters, publié en juin dernier, montrait que les trois quarts des Français, chiffre en nette augmentation, ne faisaient pas confiance à l’information délivrée par les médias. Une tendance confirmée le mois dernier par le Baromètre de la confiance dans les médias réalisé par Kantar pour La Croix, montrant de son côté que l’intérêt des Français pour l’actualité n’a jamais été aussi faible (4 sur 10). Face à cette rupture, largement mise en exergue par la crise des Gilets jaunes, le journalisme organise sa mutation et entend récréer du lien. Depuis quelques années, les projets éditoriaux se recentrent sur le local, au plus près des citoyens et de leurs initiatives.

Comment qualifier, alors, ce nouveau journalisme ? Journalisme engagé ? Journalisme de solution ? Journalisme positif ? « J’appelle cela du journalisme constructif », tranche François Roulet, producteur à la RTS, en Suisse. C’est lui, l’été dernier, qui avait donné son accord à une démarche éditoriale inédite : envoyer deux journalistes durant deux mois à Moudon, petite commune Suisse adepte de l’abstention, pour convaincre la population d’aller voter aux prochaines élections fédérales. « On s’est interrogés sur la place du journaliste dans la société, en voulant aller plus loin dans l’idée que le journaliste devient lui-même acteur, c’était un laboratoire de la démocratie », analyse-t-il. Mais ne lui parlez surtout pas de journalisme de solution : « Cette appellation me dérange, elle est normative, alors que nous ne montrons jamais du doigt la voix à suivre. »

L’expérience, elle, est un succès. Il y a quatre ans, seuls 36% des habitants de Moudon s’étaient déplacés aux urnes. Ils étaient 46% au dernier scrutin. L’engagement comme innovation éditoriale peut donc investir les canaux traditionnels du reportage et de l’enquête de terrain. Il peut, aussi, prendre appui en complément sur les outils technologiques, comme le souligne Quentin Noirfalisse, fondateur de la revue belge d’investigation Médor il y a cinq ans, lauréat de l’Engaged journalism accelerator, une bourse de travail venant soutenir les démarches d’engagement des médias. «  Nous avions eu l’idée de rédactions décentralisées en Belgique pour permettre de meilleures enquêtes locales à travers des conférences participatives et des démarches d’engagement en ligne de la part des lecteurs. »

Se recentrer sur le public

Le public serait donc le dénominateur commun à ce nouveau journalisme. « Etre un journaliste engagé, c’est surtout écouter le public, pas seulement dans le cadre d’interviews, mais aussi en amont et en aval d’un article dont la vie ne s’arrête pas après sa publication », soutient Quentin Noirfalisse, pour qui l’expression française de journalisme engagé est un abus de langage. « Il provient d’une mauvaise traduction du terme anglais  »engagement », qui est très lié à la notion de communauté, ici la communauté des lecteurs ou d’une partie des lecteurs, qui partagent un intérêt commun pour la vie du média ou son financement. »

En arrivant devant le public avec une feuille blanche et non un angle de travail préconçu, le journaliste engagé ne semble devoir se poser qu’une question : où sera-t-il le plus utile au public ? La question, elle, faisait déjà l’objet il y a deux ans des Assises internationales du journalisme. « Notre rôle se divise en plusieurs temps : nous devons d’abord observer, puis enquêter, et enfin espérer, peut-être, que notre travail serve de base pour changer les institutions, les communautés et les groupements citoyens », juge Quentin Noirfalisse, qui reconnaît que la Belgique comme la France, à l’exception de Médiacités, accusent un certain retard dans le domaine, quand le New York Times aux Etats-Unis et Correctiv en Allemagne développent un nouveau journalisme engagé, en proposant des plateformes en ligne pour que les lecteurs puissent venir fournir eux-mêmes de l’information. « Le développement de ce type de journalisme dépend beaucoup du type de pays, de la richesse de la presse et de la mentalité des lecteurs », estime Quentin Noirfalisse.

L’argument du manque de moyens est rapidement balayé par François Roulet, de la RTS, pour qui le journalisme engagé ne représente pas un coût supplémentaire pour les rédactions. « C’est surtout une affaire de créativité. Le but est que le public soit inspiré par les expériences qu’on lui présente. »

L’écueil du militantisme

Un engagement bien distinct du militantisme, son principal écueil, c’est ce que tient à souligner Cécile Durring, l’une des deux journalistes de la RTS envoyés à Moudon : « Nous n’avions pas à influencer leur choix politique, mais simplement le fait qu’ils aillent, ou non, voter. Nous étions engagés, pas militants. Sans cette limite, nous n’aurions plus aucune crédibilité. »

Ne pas tomber dans le militantisme et son versant de la communication, tel est l’objectif de ce nouveau journalisme engagé. Pour s’en assurer, les médias se dotent eux-mêmes de certains garde-fous. Particulièrement présent sur le terrain du journalisme d’engagement depuis 2016, le quotidien régional français La Montagne a récemment créé un comité d’éthique et de déontologie interne, chargé notamment de réguler l’action de la nouvelle cellule d’enquête du journal et des sept autres titre du groupe Centre France. Avec elle, « l’objectif est de recréer du lien et de la proximité avec le public, affirme Sandrine Thomas, rédactrice en chef de La Montagne. Cette nouvelle feuille de route était nécessaire pour en finir avec ce journalisme hyperactif, dans une course à l’info à n’importe quel prix. »

Engagé vers plus de transparence

Reste le risque de ne centrer son engagement que sur certaines thématiques mobilisatrices, à l’image du climat ou de la confiance envers les élu·e·s. Au point, peut-être, pour les journalistes engagé·e·s de représenter des médias de niche, ne luttant que pour certaines causes. « Être engagé·e, c’est savoir faire des choix, reconnaît Sandrine Thomas, qui tient néanmoins à placer l’engagement au cœur de la stratégie globale de son journal. Il s’agit bien d’une stratégie éditoriale sur le long terme et sur tous nos supports. »

Selon elle, l’engagement s’opère à la fois sur le fond des sujets à traiter et sur la manière dont ils sont traités par les journalistes. « Être engagé·e, c’est aussi être plus transparents sur les coulisses de la fabrique de l’information, faire un making-off. Sur les prochaines municipales par exemple, nous avons publié nos huit engagements comme le fait de ne publier aucun sondage local. » Pour ces acteurs de la profession, l’enjeu semble aujourd’hui d’assumer d’être à la fois journaliste et citoyen, tout en restant dans une position de médiateur.

Maxime LEMAITRE