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Géraldine Aresteanu et Anthony Micallef sont deux photographes qui privilégient le travail au long cours. Pour raconter des histoires, ils font le choix de passer un maximum de temps avec leurs interlocuteurs pour saisir leur personnalité. Interview croisée.

L’une passe la journée et la nuit dans l’intimité de ses personnages (projet 24h), l’autre enregistre ses sujets avec un micro lorsqu’il portraitise les habitants des immeubles insalubres de la rue d’Aubagne à Marseille (indignetoit.com). Ces deux photographes indépendants qui prennent le temps de capturer l’instant ont des méthodes similaires, mais ne s’étaient jamais rencontrés.

Comment vous est venue cette envie de long format ?

Anthony Micallef : J’ai commencé par travailler à la télévision, pour LCI donc des hard news, l’inverse de ce que je fais aujourd’hui. Ça m’a beaucoup frustré de faire des reportages que je trouvais trop courts. On ne passait pas assez de temps avec les gens, on était plusieurs sur le terrain et il y avait une prime au spectaculaire dans tout ce qu’on filmait. Tout ça nous empêchait de vraiment connaître les gens sur qui on travaillait. On capturait certaines de leurs actions mais pas celles que je trouve les plus belles, celles du quotidien.

L’avantage de traiter des sujets pendant une longue période en indépendant, c’est que je ne suis pas dépendant d’une deadline. C’est moi qui décide du moment où je m’arrête. En général, c’est
soit parce que j’ai fait le tour de la question, soit parce que le sujet commence à trop m’atteindre émotivement, soit parce que l’actualité permet de publier mes photos et de les vendre à un média.

Géraldine Aresteanu : En fait il y a plusieurs manières de faire de la photo sur le temps long. J’ai par exemple fait un reportage dans un centre médico-légal en y retournant dix fois, mais je n’y ai pas passé 24 heures. Et c’était plus intéressant de le photographier comme je l’ai fait, la situation s’y prêtait mieux.

Pour moi, l’intérêt du format long, c’est de rentrer dans l’intimité des gens, saisir leur personnalité. C’est eux qui me donnent plutôt que le contraire. Je les laisse venir à moi. J’ai par exemple vu la différence entre les formats courts et longs en photographiant des sans-abri. Quand je réalisais un reportage sur les Restos du cœur à Angers, c’était d’une grande violence de demander à des personnes aussi démunies de poser pour moi alors qu’elles allaient chercher leur repas. Ce soir-là, ça a été un truc insupportable. Alors que ça s’est beaucoup mieux passé quand je suis allée passer 24 heures avec un SDF à Paris. On était plus dans l’échange, j’offre toujours le livre des photos en remerciement à la personne que j’ai photographiée pendant 24 heures. En fait, le temps long permet plus de respect avec le sujet.

Quand on pense long format, on pense plutôt format écrit ou vidéo. Êtes-vous les seuls photojournalistes à faire dans le long ?

G.A. : En fait, il y a plein de photographes qui font ça, surtout les jeunes. Quand tu débutes et que tu as peu de boulot, tu passes plus de temps avec les gens que quand tu es plus demandé. C’est à mes 40 ans que j’ai lancé mon projet des 24 heures. Je travaillais plus rapidement qu’à mes débuts et j’étais frustrée.

A.M. : Au début on a plus de temps, mais on ose moins aller dans l’intimité des gens, on a peur de les
emmerder. Parce que ce n’est pas qu’une question de temps, il faut réussir à faire le pas de plus. Parfois, ils vont dans une pièce, on sait qu’il se passe quelque chose d’intéressant mais on n’ose pas y aller. Alors on est frustrés. Avec l’expérience, on ose plus les suivre, à faire ce pas jusque dans l’intimité, et c’est ce qui va rendre les photos plus intéressantes.

 En tant que photographes professionnels, croyez-vous au smartphone pour prendre des photos ?

A.M. : Pour moi, le téléphone est un appareil photo autant qu’un appareil professionnel. Les réglages pointus sur les ISO, la lumière, l’objectif, ce n’est pas le plus dur en photo. Ce qui compte, c’est la proximité avec les gens pour capter leur personnalité. La photographie est avant tout un face à face humain et le téléphone permet de faciliter ça. Ça permet de les prendre en photo tout en conservant l’altérité et la
bienveillance dont on a besoin.

G. A. : J’ai acheté un bon smartphone exprès pour prendre des photos. La plupart de mes posts Instagram
sont faits au téléphone. C’est un outil qui ne me quitte jamais, alors qu’avant je me promenais toujours avec mon gros appareil et mon objectif. Quand on les photographie avec le téléphone, les gens peuvent vraiment nous regarder alors qu’ils ne nous voient pas quand on est caché par l’appareil, l’œil dans le
viseur.

Paul Ricaud